Autisme

Brève introduction sur l’autisme

Pour commencer, je cite Yves Michelon qui nous interpelle sur les particularités sensorielles, si paradoxales dans l’autisme. Voilà pourquoi nous pouvons être si intrigués par une personne autiste…

« Ils nous laissent parfois dans cette impression de ne pas entendre, ou de trop entendre, de ne rien regarder ou de se focaliser sur des détails visuels, de toucher à tout ou de ne pouvoir être effleuré, d’éviter le mouvement, et de tournoyer sur soi intensément, d’être insensible aux chocs et de réagir douloureusement à la moindre égratignure de la vie quotidienne. »

L’autisme est un trouble neuro-développemental dans lequel les sujets montrent des discordances dans la réception et le filtrage des informations sensorielles, ce qui altère leur conscience corporelle et leur façon d’interagir avec leur environnement. En effet, leur perception du monde semble bien différente de la nôtre. Ils ont alors un rapport bien particulier à soi, à autrui et au monde.

L’autisme, ou “trouble du spectre autistique” est soumis à un conflit houleux de courant de pensées, notamment parce que son historique est douloureux. Il me paraît important d’exposer les différents événements qui ont marqué l’évolution de ce trouble.

 

Historique

En 1911, Bleuler nomme « autisme » l’état de retrait relationnel retrouvé dans la schizophrénie. Puis, c’est en 1943 que Leo Kanner, psychiatre américain, décrit pour la toute première fois « l’autisme infantile précoce », une pathologie à part entière. C’est un trouble inné empêchant l’enfant d’établir des contacts affectifs avec son environnement.

Alors en 1944, Hans Asperger reprend le terme d’autisme en précisant qu’il existe une origine organique. « L’autisme d’Asperger » est une forme très élaborée, les sujets pouvant avoir des facultés intellectuelles exceptionnelles. Malgré des compétences langagières précoces, le sujet Asperger présente des difficultés pour entrer en interaction sociale.

De nombreuses conceptions psychanalytiques ont émergé pour tenter de comprendre ce trouble et de sortir les sujets autistes de leur isolement. C’est en 1950 qu’une conception peu approuvée apparaît avec Bruno Bettelheim. Il compare le repli autistique aux comportements des déportés des camps, qui restent inertes face à la cruauté. Dans sa théorie, l’enfant s’enferme de lui-même dans une « forteresse vide » à cause de sa « mère frigidaire », mère qui a un désir inconscient que son enfant n’existe pas. Il prône ainsi un environnement favorable pour soigner l’autisme…

Désormais les avancées des neurosciences affirment l’existence de facteurs neurologiques dans l’autisme. La cause parentale est donc totalement réfutée.

Les nouveaux travaux scientifiques montrent qu’il s’agirait d’un trouble du développement neurologique lié à des causes multifactorielles et notamment génétiques. B. Rogé et O. Coulange (in La Recherche, 2004) confirment cette piste car une augmentation du risque est observée dans les fratries. Ils énoncent aussi que l’autisme est plus fréquemment associé à d’autres maladies génétiques (tels la sclérose tubéreuse de Bourneville, le syndrome de Rett…).

Les termes de « psychose infantile » et « troubles envahissants du développement » sont encore utilisés, mais tendent à disparaître avec la classification actuelle du DSM-V, manuel des troubles mentaux qui utilise désormais le terme de « troubles du spectre autistique » (TSA). D’ailleurs, les TSA ne constitueraient plus qu’un seul diagnostic.

Nous sommes passés d’une approche considérant l’autisme comme une maladie mentale à une nouvelle reconnaissance en 1996 comme handicap. La « Loi Choissy » implique la mise en place d’une prise en charge médico-sociale la plus adaptée. Ainsi, de nombreuses méthodes cognitivistes se développent aujourd’hui : les thérapies cognitivo-comportementales basées sur l’apprentissage, qui semblent avoir des effets positifs sur certains enfants.

Au niveau de l’épidémiologie actuelle, l’autisme touche aujourd’hui environ une personne sur cent cinquante (In Autisme et psychomotricité, 2013, p.217).

Vidéo “Mon petit frère de la lune”

La classification du DSM V

La dernière version du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, le DSM-V, est parue en mai 2013. L’autisme apparaissait dans le DSM-IV comme appartenant aux troubles envahissants du développement (TED). Désormais, on parle de troubles du spectre autistique (TSA), dans la catégorie des troubles neuro-développementaux.

La symptomatologie du DSM-IV notifiait une triade autistique : altération qualitative des interactions sociales, altération qualitative de la communication, et intérêts restreints et stéréotypés. La nouveauté du DSM-V réside dans ses critères diagnostiques, et l’on peut maintenant parler d’une dyade autistique :

  • Déficits persistants de la communication et des interactions sociales dans de multiples environnements. Comprenant trois sous-catégories :

– 1: Réciprocité socio-émotionnelle

– 2: Communication non-verbale

– 3: Développement, maintien et compréhension des relations.

  • Conduites restreintes et stéréotypées des comportements, des intérêts et des activités
  1. Mouvements, usage d’objets, langage répétitifs, stéréotypés
  2. Exigence d’immuabilité, de routines inflexibles, de rituels
  3. Intérêts fixes, très restreints, anormaux dans leur intensité ou objets
  4. Hyper/hypo réactivité sensorielles ou intérêt inhabituel pour certains aspects de l’environnement.

Il existe une grande hétérogénéité clinique, de nombreux types d’autismes différents et à des degrés divers : légers, moyens ou sévères.

Les TSA constituent désormais un seul diagnostic et regroupent plusieurs types :

– Autisme infantile

– Autisme de Kanner

– Autisme de Haut niveau

– Autisme Atypique

– Syndrome d’Asperger

– Troubles Envahissant du Développement Non Spécifiés.

 

Les symptômes de l’autisme

Les principales difficultés relèvent de l’insertion sociale. Le sujet autiste est replié sur lui-même et parvient peu à entrer en interaction.

Les neuroscientifiques expliquent cette difficulté par un dysfonctionnement des neurones miroirs. Cela impacte les capacités d’imitation, d’empathie et le faire-semblant. On observe aussi une dysrégulation émotionnelle dans l’autisme.

Au niveau psychomoteur, on trouve des troubles au niveau tonique, au niveau de la construction du schéma corporel et de l’image du corps et par conséquence une désorganisation des coordinations dynamiques générales, des praxies, des repères dans l’espace et dans le temps. Les troubles autistiques sont paradoxaux : un sujet peut passer d’un état à l’autre.

Ainsi, les discordances toniques chez le sujet autiste sont soit : une hypotonie modérée isolée, en l’absence d’une atteinte neurologique, soit une hypertonie de fond. Il peut s’agir d’une réaction de défense, d’évitement. Un sujet autiste peut aussi passer de l’hypotonie à l’hypertonie massive. Fréquemment, il y a présence d’anomalies tonico-posturales, de troubles d’adaptation posturale, des dystonies et des paratonies, qui entravent la motricité. Par ailleurs une absence ou un dysfonctionnement du dialogue tonique entre la mère et le bébé dès le second semestre de vie sont fréquents.

Au niveau du schéma corporel et de l’image du corps, la représentation du corps est souvent floue. Il y a fréquemment de graves perturbations du schéma corporel chez l’enfant autiste. Il semble avoir une perception partielle du corps. Quant aux troubles de l’image du corps, ils se traduisent par ce que certains auteurs nomment angoisses corporelles: angoisse de morcellement (nombre de personnes autistes évoquent leur corps troué), ou encore l’angoisse de chute. Celle-ci se manifeste de différentes manières : certains autistes recherchent continuellement des jeux de glissé, d’autres ne peuvent réaliser des parcours d’équilibre, ils ont peur de sauter, ou encore, ils peuvent s’effondrer au sol… Certains verbalisent très clairement la « peur de la chute sans fin dans un trou noir (…). On pense à tous ces autistes qui peuvent regarder sans fin le cerceau tournoyer et tomber lentement » (E. Pireyre, 2011, p.142).

En ce qui concerne les coordinations dynamiques générales, il y parfois une bizarrerie dans la démarche. Le sujet autiste a une attitude figée, une pauvreté des mouvements synchronisés et peu de ballant des bras. Les coordinations et dissociations des mouvements impliquant les deux hémicorps sont aussi difficiles. Régulièrement, les enfants autistes ont une marche sur la pointe des pieds.

Caucal et Brunod expliquent la marche sur la pointe des pieds non pas par une affection tendino-musculaire, mais plutôt par une sensorialité plantaire majorée : « les enfants avec autisme (…) supportent mal le port des chaussures en raison d’une hyperesthésie plantaire » (2013, p.78).

Au niveau de l’activité motrice, deux comportements se retrouvent : une apathie, où l’enfant apprécie tout particulièrement se coucher au sol, son activité motrice est restreinte. Au contraire, certains enfants sont hyperkinétiques : ils ont une agitation motrice importante. Contrairement à ceux qui ont des troubles déficitaires de l’attention avec hyperactivité (TDAH) le sujet ne s’intéresse pas forcément aux objets.

Les praxies, ou gestes organisés vers un but, sont fréquemment maladroites chez le sujet autiste. Alors, l’enfant présente un retard psychomoteur des acquisitions motrices et une maladresse. Il a des difficultés dans les coordinations et les gestes complexes, ainsi que de grandes difficultés dans la motricité fine, avec pour certains une difficulté au niveau de la préhension en pince fine. L’écriture, quand elle existe, est souvent malhabile.

Enfin, l’organisation spatio-temporelle est complexe. Les sujets autistes ont en général une bonne orientation spatiale, bien que les capacités mnésiques parfois déficitaires puissent entraver le repérage dans l’espace. De même, l’organisation temporelle est déficiente ou particulière. Le sujet autiste a régulièrement recours à des rituels qui lui permettent de séquencer le temps ou au contraire, qui lui servent à relier les évènements les uns aux autres. Les rituels contribuent ainsi à former une continuité de vie, ils ont une fonction de réassurance.

Alors le sujet autiste manifeste le plus souvent une sémiologie psychomotrice marquée par une représentation floue du corps, des difficultés motrices et des discordances corporelles.

La prise en soin

Les prises en charge peuvent être multiples pour le sujet autiste, selon ses difficultés: orthophonie, ergothérapie, psychomotricité… Différentes approches interviennent: des méthodes éducatives type ABA, PECS, l’utilisation d’un langage Makaton ; ou encore des pratiques basées sur le jeu, des entretiens psychologiques lorsque le sujet verbalise des angoisses…

En psychomotricité, la rééducation visera les troubles évoqués dans la sémiologie propre de la personne. Il s’agit généralement d’être dans une recherche d’interactions afin de favoriser la relation tout en stimulant l’aspect psychomoteur, visant ainsi une meilleure aisance corporelle.

Le psychomotricien intervient aussi pour cibler les modalités sensorielles de la personne autiste. « Apprendre comment fonctionnent les sens de chaque individu autiste est l’une des clés essentielles pour comprendre cette personne » (O’Neil, cité par O. Bogdashina 2013, p.63). Il paraît nécessaire d’appréhender la façon dont le sujet autiste perçoit son environnement. En conséquent, il sera possible d’interpréter ses comportements atypiques mais aussi d’adapter son environnement.

En comprenant le fonctionnement sensoriel propre à la personne autiste, le psychomotricien l’accompagnera à mieux gérer ses particularités, à s’apaiser.

Anaïs Madrennes

(Cet article contient des extraits de mon mémoire sur le toucher en psychomotricité auprès de l’adulte sourd et autiste)


Bibliographie

  • Barthélémy C., Blanc R., Bonnet-Brilhault F., Batard N., Bruandet F., Chaix Y., Corraze J., Garrigou C., Gillet P., Gorgy O., Grenier-Miquel E., Guitard S., Karsenty C., Le Menn- Tripi C., Laranjeira C., Maffre T., Madieu E., Masson O., Nadel J., Perrin J., Plumet M., Pourageau J., Rogé B., Rochat M., Réveillé C., Ruiz S. (2013). Autisme et psychomotricité. Bruxelles : De Boeck
  • Bogdashina, O. (2013). Questions sensorielles et perceptives dans l’autisme et le syndrome d’Asperger. Grasse : AFD
  • Boutinaud, J. (2009). Psychomotricité, psychoses et autismes infantiles. Paris : In Press.
  • Brun, A. (2007). Médiations thérapeutiques et psychose infantile. Paris : Dunod.
  • Bullinger, A. (2011). Le développement sensori-moteur de l’enfant et ses avatars. Toulouse : érès.
  • Caucal, D., & Brunod, R. (2010). Les aspects sensoriels et moteurs de l’autisme. Grasse : AFD.
  • Grandin, T. (1994). Ma vie d’autiste. Paris : Odile Jacob.
  • Hochmann, J. (2009). Histoire de l’autisme.  Paris: Odile Jacob.
  • Pireyre, E. W. (2011). Clinique de l’image du corps: du vécu au concept. Paris : Dunod.

Articles :

o Bullinger, A. (2006). Approche sensorimotrice des troubles envahissants du développement. Contraste, (2), p.125-139.
o Nadel J., Decety J. (2006). Cerveau&Psycho N°13, p.50-53.
o Rogé B., Coulange O. (2004). Autisme : la vérité sur une prison mentale. La Recherche N°373.